- RÉIFICATION
- RÉIFICATIONLe concept de réification est lié au développement de la pensée marxiste. Chez Marx et chez Lukács ensuite, il agit comme concept théorique et politique. L’influence de la dialectique hégélienne se fait sentir dans le mécanisme de dépassement envisagé par ces deux auteurs. Il n’en demeure pas moins que Marx avait, sous le nom de fétichisme de la marchandise, mis à jour un des mécanismes mentaux les plus importants de la société produisant pour le marché. La richesse des études auxquelles ce concept a donné naissance en témoigne. En revanche, la sociologie durkheimienne pas plus que la sociologie dite américaine ne l’ont retenu. Il faut d’ailleurs ajouter que le marxisme stalinien le rejeta tout autant, comme l’atteste la condamnation officielle du livre de Lukács, Histoire et conscience de classe (1923). Certes, on peut trouver chez Durkheim une théorie de l’aliénation religieuse comme fausse conscience dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912). Il manque cependant à ce point de vue trop strictement mécaniste de donner au plan de la conscience l’importance qu’il a, ce qui permet de son côté à la pensée marxiste de connoter par la notion d’intérêt la réification constatée aussi bien par Durkheim. C’est faute d’avoir pensé la rétroaction dialectique de la conscience sur la structure réificationnelle de la société, que la pensée durkheimienne s’est vue dans l’impossibilité de saisir le phénomène de réification dans sa complexité et, par conséquent, de lui accorder la place qui lui revient.L’abstraction de la marchandise et ses conséquencesLe domaine économiqueLa théorie de la réification trouve sa source dans l’analyse marxienne de la marchandise. Dans Le Capital (liv. Ier, chap. Ier), Marx étudie le processus historique à travers lequel le produit du travail se transforme en marchandise en même temps que la valeur du produit devient elle-même valeur d’échange. La constitution de la marchandise en tant que telle va donc de pair avec la prédominance de la valeur d’échange sur la valeur d’usage; elle implique, d’autre part, l’élaboration de l’équivalent général, la forme «argent».Or, ce qui intéresse Marx dans la quatrième partie de son chapitre sur la marchandise, ce sont les transformations que la généralisation de l’échange détermine, non seulement sur la chose échangée, la marchandise, mais sur les acteurs mêmes de l’échange, les producteurs-acheteurs. Pour ces derniers, dit Marx, «les rapports de leurs travaux privés apparaissent ce qu’ils sont , c’est-à-dire non des rapports sociaux immédiats des personnes dans leurs travaux mêmes, mais bien plutôt des rapports sociaux entre les choses » (Le Capital , liv. Ier). Marx pose ainsi la détermination sociologique du phénomène qu’il étudie.Ce n’est en effet qu’à partir du moment où la forme «marchandise» est devenue la forme générale des produits du travail qu’apparaissent l’égalité et l’équivalence de tous les travaux en tant que travaux humains, concomitamment avec l’idée de l’égalité humaine. Le lien nécessaire qui unit ces phénomènes explique, selon Marx, qu’Aristote ait pu génialement découvrir le rapport d’égalité de valeur entre les produits échangés, mais ne pas comprendre le contenu réel de ce rapport, c’est-à-dire l’égalité des travaux humains; en effet, la société grecque reposait sur le travail des esclaves et avait donc pour fondement naturel l’inégalité des hommes et de leur force de travail.Il fallait l’avènement de la société bourgeoise échangiste et capitaliste, et le développement de l’idéologie égalitariste pour que le contenu réel de la valeur puisse être établi en toute clarté. Or, comme on l’a vu, l’avènement de l’économie marchande provoque une transformation profonde des rapports sociaux. Dans les époques antérieures, la dépendance générale des partenaires sociaux était la règle: serfs-seigneurs, vassaux-suzerains, laïques-clercs. Cette dépendance caractérisait aussi bien les rapports sociaux de la production matérielle que les autres sphères auxquelles elle servait de fondement. Et, ajoute Marx, «c’est précisément parce que la société est basée sur la dépendance personnelle que tous les rapports sociaux apparaissent comme des rapports entre les personnes» (Le Capital , liv. Ier). Ainsi ne se produisait pas ce qui arrive avec la marchandise: la duplicité du produit comme valeur d’usage (utilité) et valeur d’échange (valeur marchande).Or, c’est de cette ambiguïté de la marchandise que procède le fétichisme qui s’y porte, car c’est au cours de l’échange que les produits acquièrent une «existence sociale identique et uniforme, distincte de leur existence matérielle et multiforme comme objets d’utilité» (Le Capital , liv. Ier). L’échange occulte donc la différence des produits pour ne laisser dans l’esprit de celui qui échange que la valeur générale du produit comme marchandise échangeable. Ainsi s’attache au produit lui-même, dans la conscience que les acteurs de l’échange en ont, une valeur (marchande) propre, qui efface la perception de l’utilité du produit. Ce processus, que Marx qualifie de fantasmagorie, fait apparaître la valeur (d’échange) comme inhérente à la «nature» même du produit, et non pas comme expression du travail dépensé dans sa production. En cela consiste le fétichisme de la marchandise, car, à partir du moment où, dans l’histoire, la forme marchande domine, les rapports sociaux entre les gens se réduisent, tendanciellement, dans tous les domaines, à des rapports sociaux entre les choses.L’échange des marchandises repose donc sur le caractère abstrait de la valeur des produits, ce qui a pour résultat de permettre le développement du calcul de cette valeur en termes quantitatifs. La rationalité peut s’emparer de la sphère productive et devenir un des principes fondamentaux de l’économie, et une des catégories de la conscience.La conscience réifiéeMarx, le premier, avait relevé les conséquences que les processus définis plus haut engendrent soit sur le plan religieux, soit sur le plan philosophique. Ce n’est cependant qu’avec Lukács que cette analyse prend tout son développement sous le nom de réification (Verdinglichung ), plus propre que l’expression «fétichisme de la marchandise» à caractériser un phénomène situé dans la conscience (Lukács utilise en réalité deux termes: Verdinglichung – «réification» – et Versachlichung – «chosification» –, construits sur les mots allemands Ding et Sache signifiant tous deux « chose », mais avec des connotations différentes). C’est l’activité humaine elle-même qui est d’abord transformée en chose. La force de travail devient donc une marchandise que le travailleur possède et qu’il lui est loisible de monnayer (échanger) sur le marché du travail. À partir de cette transformation première, toute une série de conséquences se développent au cours de l’histoire de la formation échangiste capitaliste pour aboutir à la création de ce que Lukács appelle «une catégorie sociale qui influence de façon décisive la forme d’objectivité tant des objets que des sujets de la société» (Lukács, Histoire et conscience de classe). Cette catégorie transforme producteurs et produits en choses, elle chosifie (Versachlicht ) les choses mêmes. Comme disait Marx, «la propriété privée aliène non seulement l’individualité des hommes, mais encore celle des choses» (K. Marx et F. Engels, L’Idéologie allemande ).De l’emprise de cette catégorie dépend l’édification de tous les éléments de la structure sociale propre à l’économie échangiste, et, en tout premier lieu, l’État, le droit, l’administration et la bureaucratie qui en sont les conditions. Ce n’est en effet qu’à partir de l’élimination du caractère individuel, personnel et humain du travail, et donc aussi du produit, qu’une véritable organisation rationnelle abstraite, non seulement de la production mais de tous les actes sociaux, devient possible. Le formalisme juridique comme le taylorisme et les règles bureaucratiques trouvent leur commune justification dans l’abstraction originelle dont a été frappé le travail en économie marchande. Réduit à des paramètres quantitatifs, le travail ne peut donner lieu qu’à des formes de conscience également abstraites.Certes, à travers ces formes abstraites, subsiste encore quelque chose de la fonction primitive. Le formalisme juridique assure encore pour une part sa tâche de rendre la justice, mais il y manque souvent (ainsi que l’enregistre le dicton: summum jus, summa injuria ), de même que, pour réifié qu’il soit, l’échange achemine cependant des valeurs d’usage. Le phénomène se présente donc, entre le début de la chaîne – le producteur – et la fin – le consommateur –, comme la réduction à l’implicite de la fonction d’usage finale. Celle-ci n’est pas l’objet de l’activité, elle n’en est même qu’une cause tout à fait secondaire, médiate. Lukács a proposé d’appeler «catégorie de la médiation» cette structure perceptive ancrée dans la conscience par la pratique quotidienne en économie marchande. La médiation, conséquence de la réification, est la catégorie à travers laquelle toute valeur authentique (non réifiée) doit nécessairement être perçue dans une société produisant pour le marché.Encore ce mécanisme souffre-t-il un développement inégal suivant les secteurs d’activité. Dans le domaine économique, comme on l’a vu, il atteint son développement complet. En revanche, la réification ne pénètre pas globalement toutes les sphères de la vie privée. Bien qu’elle s’y insinue (amour vénal, mariage d’argent, etc.), elle n’y règne pas totalement. Cela aboutit, dans les sociétés capitalistes marchandes, à l’établissement d’un clivage entre vie privée et vie publique. Dans la première se manifestent encore fréquemment les anciennes valeurs non réifiées telles que la solidarité, le désintéressement, tandis que dans la seconde triomphe l’égoïsme. On constate donc un «dualisme psychique qui devient une des structures fondamentales de l’homme dans le monde capitaliste» (Goldmann, Recherches dialectiques ). Tout homme se trouve en situation d’être à tout moment Dr. Jekill et Mr. Hyde, tortionnaire nazi et amateur de belle musique, etc.La réification en tant qu’absolutisation de l’échange marchand a donc transformé, au cours des derniers siècles, toutes les sphères de la vie sociale. Alors que, dans les époques antérieures, les sphères politique, économique, juridique et religieuse s’articulaient indissolublement l’une sur l’autre, avec l’avènement de la société capitaliste marchande (le phénomène est effectif dans toute société marchande où l’argent règle le flux des produits; il convient donc de le chercher aussi bien dans un régime de capitalisme privé – bourgeois – que de capitalisme d’État), la sphère économique a conquis une autonomie presque totale, reléguant la sphère politique dans sa dépendance partielle et s’affranchissant totalement des sphères intellectuelle et religieuse, qu’elle contrôle en revanche elle-même de plus en plus. Il s’ensuit une crise de l’authenticité de la pratique dans ces sphères, dont l’examen dépasserait cependant notre propos (Lukács, Histoire et conscience de classe ; Goldmann, Recherches dialectiques ).Conscience politiqueDans Histoire et conscience de classe , Lukács examine les conséquences politiques de la réification dans les sociétés capitalistes bourgeoises. Il met alors en avant le rôle du prolétariat comme agent du dépassement historique de la phase de réification née avec le système échangiste marchand. Lukács fonde cette fonction historique dans la position même du prolétariat au sein du processus réificationnel. Certes, bourgeoisie et prolétariat sont tous deux plongés également dans le processus de réification et, comme dit Marx, «la classe possédante et la classe du prolétariat présentent la même aliénation de soi de l’homme» (La Sainte Famille ). Ce qui distingue cependant ces deux classes sous le rapport de la réification, c’est la manière dont leur existence immédiate est assumée au plan de la conscience. La pensée bourgeoise, poursuit Lukács, reste enfermée dans l’immédiateté de sa situation, c’est-à-dire ne conçoit pas le moment présent comme moment historique, et elle voile, sous des catégories réflexives abstraites, le caractère dialectique de son existence. Les raisons d’intérêt qui la déterminent à agir ainsi poussent, au contraire, le prolétariat à mettre en évidence le caractère dialectique de sa situation (de dépendance et de réification) et à agir dans le sens du dépassement de la structure actuelle de la production et de la distribution. Se connaissant lui-même comme marchandise, le prolétariat, par cette connaissance déjà, agit sur la structure marchande.Depuis l’étude de Lukács, le problème de la réification passa quelque peu au second plan. Certes, l’ouvrage de Karl Mannheim, Idéologie et utopie (1929), y renvoyait encore, mais il semble que l’avènement du stalinisme rendit par la suite plus éloignée l’hypothèse lukácsienne fondée sur le rôle historique du prolétariat. Passé sous silence dans les pays dits socialistes, le problème de la réification ne semblait plus préoccuper les marxistes occidentaux au milieu desquels l’idéologie de «la fin des idéologies» gagnait du terrain.En 1958, reprenant l’apport méthodologique d’Histoire et conscience de classe , Goldmann fit à nouveau avancer le problème. Par rapport à celui de Lukács, l’optimisme relatif de Goldmann avait cependant un fondement différent. Il procède d’une double constatation: d’une part, le système capitaliste évolue rapidement dans le sens d’une intervention toujours plus grande de l’État et d’une généralisation, certes limitée, des procédures de planification ; on se rappelle, d’autre part, que l’analyse marxienne faisait apparaître que la réification dépendait de l’échange marchand et du remplacement des valeurs qualitatives (valeurs d’utilité) par des valeurs quantitatives (valeurs d’échange). Or toute activité planificatrice se place de soi-même au plan de la qualité: elle est en effet choix, et par conséquent essentiellement axiologique. Il est donc justifié de considérer la tendance à l’élargissement du rôle de la planification comme une tendance au recul de la réification. Il va sans dire que ces tendances ne sauraient se réaliser pleinement sans que change la forme de la société capitaliste.Une catégorie de la sociologie de la littérature et de la philosophieDans une structure sociale marchande, les pratiques religieuses, artistiques et philosophiques perdent tendanciellement leur autonomie dans la mesure où elles perdent tout pouvoir sur la structure globale de la société, alors qu’en retour elles sont de plus en plus déterminées par la structure économique. La réification détermine donc une hypertrophie de la sphère privée (J. Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit ) comme conséquence de l’inefficacité sociale de la pensée et des axiomatiques religieuses, philosophiques ou esthétiques, alors même qu’elle est le signe que toute vie ou pensée privée est déterminée par la catégorie de la médiation.La réification devient alors une catégorie nécessaire à l’étude du statut de ces pratiques en société marchande, ainsi que du statut des intellectuels qui se constituent ipso facto en groupe particulier à l’intérieur de celle-ci.La réification est enfin un concept clé pour la compréhension et l’explication des œuvres produites en ces conditions, et particulièrement pour le roman. Sur ce point, le livre de Goldmann, Pour une sociologie du roman , représente l’application la plus précise du concept de réification en sociologie de la création. L’hypothèse de travail peut se résumer ainsi: la structure du roman, comme univers total représenté, enregistre et reproduit les transformations engendrées dans la société par le développement de la réification, à savoir, en quatre étapes:a ) Le roman né dans la société individualiste se présente comme la quête dégradée de valeurs authentiques par un héros plongé dans un monde dégradé. Toute valeur s’y trouve donc à l’état implicite. Ce type de romans est «la transposition sur le plan littéraire de la vie quotidienne dans la société individualiste née de la production pour le marché» (Goldmann).b ) Dans la période de transformation du capitalisme individualiste en capitalisme des monopoles , on constate sur le plan romanesque la disparition de l’importance de l’individu (le héros) et de la catégorie de la biographie qui lui était attachée. Des tentatives se manifestent, visant à remplacer le héros individuel par des réalités collectives: famille, groupe social, institutions, révolution, etc.c ) La disparition tendancielle de la fonction de l’individu dans la structure capitaliste, déjà amorcée dans les années 1900-1910, s’est parachevée, amenant l’abandon de tout essai de remplacement du héros et conduisant les écrivains à créer des romans de l’absence du sujet et de l’inexistence de toute quête (Kafka).d ) Enfin, pour Goldmann, le nouveau roman représente une des formes les plus développées de l’existence romanesque de la réification. Il apparaît comme l’aboutissement, sur le plan de la création, des tendances réificationnelles de la société capitaliste marchande.On peut ainsi analyser parallèlement, d’une part, le développement du processus de réification dans la société capitaliste, d’autre part, l’évolution du genre romanesque en son sein; cela permet à Goldmann de mettre en évidence l’homologie de ces deux structures, sur les plans économique et romanesque; l’une et l’autre sont axées sur la catégorie de la médiation qui rend implicites dans ces deux champs les valeurs reconnues comme authentiques.Réification et pathologie mentaleLe phénomène de réification se caractérise par un recul de la fonction axiologique et par une tendance à l’abstraction due au développement prépondérant des catégories de quantité par opposition à celles de qualité. Ces caractères ont frappé l’esprit des psychiatres lorsqu’ils les rapprochèrent des symptômes constatés dans des affections telles que la schizophrénie. À la suite des travaux d’Eugène Minkowski (Le Temps vécu ; La Schizophrénie ) et de l’école de psychopathologie existentielle (Daseinsanalyse ), Joseph Gabel entreprit des recherches sur les idéologies politiques qu’il définit, dans leurs formes totalitaires, comme des «syndromes réificationnels» (La Fausse Conscience ), c’est-à-dire comme des formes réifiées, dogmatiques et abstraites de pensée, proches précisément dans leurs manifestations des symptômes schizophréniques. Il écrit ainsi: «La fausse conscience – c’est-à-dire l’ensemble de ces structures régressives et déréalistes en psychologie politique – nous est apparue ainsi comme étant essentiellement une prise de conscience adialectique, anaxiologique et abstraite de réalités significatives et concrètement dialectiques.»L’étude psychologique menait donc directement aux structures sociologiques elles-mêmes, où se manifestaient globalement les mêmes symptômes. Gabel chercha donc dans la théorie marxienne et lukàcsienne de la réification les fondements explicatifs des phénomènes de pathologie mentale, et, particulièrement, de la schizophrénie. Son hypothèse centrale était que toutes les variétés de cette affection manifestent un noyau central qui est le rapport sujet-objet, moi-monde. La schizophrénie se caractérise dès lors, pour lui, comme un cas particulier de «dédialectisation» de ce rapport, et par conséquent comme une maladie étroitement liée à la structure réifiée de la société marchande. Sous ce rapport, la philosophie existentialiste, dont le vocabulaire apparaît fréquemment dans le discours de schizophrènes en voie de guérison, serait une protestation contre cette même structure réifiée. Ainsi, «c’est la structure dialectique de son insertion dans le monde qui défend l’homme (individuel ou social) contre le délire» (La Fausse Conscience ).Plus récemment, et sur des bases toutes différentes, Gilles Deleuze et Felix Guattari ont repris la question dans Capitalisme et Schizophrénie . L’Anti-Œdipe . Leur entreprise se révèle d’abord antipsychanalytique en ce qu’elle accuse la théorie freudienne d’avoir pensé le désir dans le droit fil de la philosophie idéaliste comme désir lié à un manque. À travers le scénario œdipien comme représentation tragique de ce manque, elle a enfermé le psychisme dans le théâtre clos de la famille. Si dès lors l’étude des manifestations psychiques doit s’ouvrir sur le social et le politique, ce sera pourvue d’une nouvelle théorie du désir, comme production des «machines désirantes» que nous sommes. Deleuze et Guattari insistent sur l’aspect productif du désir, ainsi que sur son aspect moléculaire et fragmentaire, lié aux branchements innombrables caractérisant la machine. Ils jettent ainsi les bases d’une anthropologie qui prend le contrepied de l’identité massive (molaire) et structurée du Moi et par conséquent des psychiatries qui lui sont liées. Ils insistent sur le fait que le désir schizoïde peut être interprété comme alternative politique et sociale «productiviste» à une société et un régime économique uniquement pensés et vécus sur le mode de l’acquisition.Dans cette perspective, la réification est du côté du système dominant notre civilisation occidentale, système molaire qu’on pourrait caractériser comme paranoïaque, arc-bouté qu’il est sur les rituels de l’acquis, tandis que la nature humaine serait industrieuse production.• 1912; de réifier♦ Philos. Action de réifier; son résultat.⇒RÉIFICATION, subst. fém.A. — PHILOS. Transformation, transposition d'une abstraction en objet concret, en chose. Synon. chosification. Nous nous bornerons au cours de ce chapitre à l'étude d'un seul point: celui de la réification du corps. Le corps humain est devenu — en grande partie du fait des médecins — un objet de propriété (DAVID, Cybern., 1965, p. 142):• Toutes ces impostures se valent, et elles font vivre aujourd'hui bien des farceurs. Car tel est le piège de la réification statique: quiconque hypostasie le pouvoir-faire-autrement, parce qu'il exploite la dialectique de la self-contradiction, fait le jeu de la servitude.JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 209.— En partic. Tendance à rendre statique ce qui est mouvant, mobile. Que savez-vous de la réalité, que savez-vous des « lignes intérieures de la structure des choses », et par quelle grossière réification des concepts venez-vous lui essayer vos catégories mentales d'immobile ou mobile? (BENDA, Le Bergsonisme, ou Une philosophie de la mobilité, pp. 66-67 (6 éd., Mercure de France, 1917) ds QUEM. DDL t. 26).— [Chez Marx, Lukács] Transformation de l'activité humaine en marchandise qui aboutit dans l'économie capitaliste à une véritable fétichisation de l'objet en tant que valeur d'échange dominant complètement la valeur d'usage. La réification (...) a donc transformé, au cours des derniers siècles, toutes les sphères de la vie sociale. Alors que dans les époques antérieures, les sphères politiques, économiques, juridiques et religieuses s'articulaient indissolublement l'une sur l'autre, avec l'avènement de la société capitaliste marchande (...), la sphère économique a conquis une autonomie presque totale (Encyclop. univ. t. 14 1972, p. 10).B. — LING. ,,Procédure narrative qui consiste à transformer un sujet humain en objet, en l'inscrivant dans la position syntaxique d'objet à l'intérieur du programme narratif d'un autre sujet`` (GREIMAS-COURTÉS 1979).C. — PSYCHOL., PSYCH. La réification peut être définie par l'attitude qui consiste à vivre la relation interpersonnelle comme un échange asbtrait, où les modalités individuelles sont mises entre parenthèses pour laisser la place aux catégories générales de la rencontre, celles du statut économique, du rôle social, et des représentations induites par la classe sociale (THINÈS-LEMP. 1975).Prononc.:[
]. Étymol. et Hist. 1912 (BENDA, loc. cit.). Dér. sav. de réifier; suff. -ation.
réification [ʀeifikɑsjɔ̃] n. f.ÉTYM. Mil. XXe; de réifier.❖♦ Philosophie.1 Tendance à transformer, à se transformer en chose, en objet. ⇒ Chosification. || La réification du travail humain considérée comme une cause de l'aliénation.0 Dans la litanie amoureuse d'Aragon, la réduction de soi, l'écrasement de soi, la réification de soi descendent sans relâche vers la mortification volontaire, tous les degrés de la vie.Claude Roy, Nous, p. 458-459.2 Tendance à considérer comme statique, figé (ce qui est mouvant, dynamique).
Encyclopédie Universelle. 2012.